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ACTUA SF
(octobre 2008)
http://www.actusf.com/spip/article-6252.html

D’où vous est venue l’idée de mettre en scène graphique un personnage aussi surprenant et, a priori, aussi peu romanesque que le prix Nobel de Chimie 1918, Fritz Haber ?

Eh bien, justement, parce que romanesque, la vie de Haber l’était infiniment ! Je dis souvent que sa vie est digne d’un sujet d’opéra, et ce n’est pas exagéré. J’ai découvert Haber par hasard, au travers d’un article qui s’appelait « Le cabinet du Docteur Fritz Haber », titre qui, je m’en rends compte à présent, faisait déjà un clin d’œil au cinéma expressionniste allemand, puisqu’il rappelle le Docteur Caligari de Wiene ou encore les Mabuse de Lang. En quatre pages on y résumait la vie de Haber, et les grandes incidences de ses diverses actions. Bien qu’il fut globalement juste, ce résumé proposait un aperçu de la destinée de Haber particulièrement romantique : on le présentait ni plus ni moins comme un « Dr Jekyll et Mr Hyde de la chimie ». Et en quatre pages, on apprenait comment Haber devint un bienfaiteur de l’humanité, avec sa découverte de la synthèse de l’ammoniac (qui lui valut son Nobel), mais aussi comment il fut l’initiateur de la guerre chimique, l’inventeur des gaz Ypérite et Zyklon B… Ajoutée à cela une double personnalité à plusieurs niveaux : affable et prévenant en société, odieux envers sa femme ; Allemand et belliciste pour les autorités prussiennes, humaniste et juif pour ses coreligionnaires (dont les plus célèbres furent Einstein, Weizmann et Rathenau)…
Tout cela avait de quoi étonner, bien entendu. Cela dit, ce n’est pas vraiment cet article qui m’a poussé à devenir l’un des biographes de Haber. Ce furent plutôt ses amitiés inattendues avec Einstein et Weizmann qui me troublèrent. C’est pour cette raison que j’ai cherché à en savoir plus, mais sans penser à en faire la matière d’une biographie. C’est lorsque j’ai lu plusieurs ouvrages sur Haber et son époque, quand toute la complexité de sa vie m’est apparue, que l’idée de me l’approprier m’est venue.
En réalité, mon sujet dépasse la simple histoire de Haber, c’est la question identitaire qui est mon sujet central, et même, en quelque sorte, la biographie d’une certaine Allemagne. Je me suis décidé à raconter la vie de Haber quand j’ai compris qu’à travers lui je pouvais aborder tous les sujets qui me tenaient personnellement à cœur, des thèmes tels que la question de l’identité, l’éthique scientifique, la naissance des premières grandes dérives capitalistes, la complexité des âmes, les excès idéologiques et philosophiques, etc. C’est donc lorsque j’ai compris que derrière le Haber bipolaire et basiquement antinomique il en existait un autre beaucoup plus complexe, que je me suis lancé dans ce projet. C’était aussi pour moi une occasion de repenser la relation assez difficile que j’avais déjà à l’époque avec la bande dessinée et de tenter de répondre à cette simple question : la bande dessinée peut-elle aborder des sujets réellement complexes ? L’ambition de Haber peut certes parfois devenir contagieuse...

L’Allemagne et le trio Haber, Einstein, Weizmann jouent, en effet, un rôle central dans le second album Les Héros. Il y a de l’ironie dans ce titre. La proximité de Fritz Haber et de ses amis avec l’Allemagne en fait-elle aussi des « malfaiteurs de l’humanité » ?

Avec une couverture représentant entre autre le jeune Albert Einstein, on me permettra une réponse toute relative. Il y a bien effectivement une pointe d’ironie dans le titre. Mais les six personnages qui font la couverture et le corps central du récit, outre le fait qu’ils étaient tous juifs dans une Allemagne particulièrement antisémite, ont tous été à un moment donné de leur vie élevés au statut de héros par leurs contemporains. Einstein le fut pour ce que l’on sait ; Maximilian Harden, grand pourfendeur du kaiserisme, le fut pour son courage journalistique ; Otto Sackur et Rathenau, le furent comme martyrs ; Weizmann le fut pour avoir été l’un des plus importants fondateurs de l’Etat d’Israël ; et Haber, pour ses services rendus à la Nation reconnaissante (Haber fut le seul juif à avoir atteint le grade de capitaine dans l’armée prussienne, a avoir été fait chevalier de première classe de la Croix de Fer et chevalier de l’Ordre des épées de Hohenzollern, tout comme, en 1933, il fut le seul à bénéficier de mesures d’exception, lors du décret nazi qui promulguait « la revalorisation de la fonction publique »). J’aurais encore pu ajouter les figures de Clara Haber-Immerwahr et d’Alfred Koppel, ce richissime banquier juif qui avait ses entrées au Palais et qui contribua à propulser les carrières de Haber et d’Einstein…
Là où le titre grince, c’est lorsque le lecteur découvre la citation de Thomas Carlyle qui ouvre ce deuxième tome et qui se présente comme un extrait de son ouvrage « Les Héros », paru en 1840. « Les Héros » était le livre de chevet de Fritz Haber. Il faut savoir ce qu’étaient les idées de Carlyle pour saisir le malaise, bien entendu ; c’est pour cette raison que je le cite beaucoup dans mes deux tomes. Car Carlyle n’était certainement pas un démocrate, c’était même ce que Zeev Sternhell a appelé un « Anti-Lumières », il avait pour les idées démocratiques et les institutions parlementaires une profonde aversion. Selon lui, la seule chose essentielle sur laquelle il fallait compter, c’était la foi en une âme héroïque, « seule à même de conduire les foules… » Haber, toute sa vie, n’a fait que suivre et appliquer les principes de ce texte, par ailleurs très important pour toute une génération d’Allemands.
Alors, bien sûr, le lecteur attentif remarquera que j’ai pris un malin plaisir à présenter tous les « héros » que je viens de citer sous une lumière quelque peu moins glorieuse : le journaliste Harden, c’est par la construction d’un odieux scandale homophobe qu’il s’est attaqué à Guillaume ; Sackur, c’est parce qu’il expérimentait des gaz de combat qu’il est mort en héros ; Weizmann ce sera en offrant sa science à l’empire britannique qu’il contribuera fortement à l’enlisement du conflit ; Rathenau subventionnait de terribles journaux antisémites ; Einstein ferma les yeux sur les agissements des gens qui lui avaient offert une place en or à Berlin (en jouant, par exemple, au réveillon de la Noël 14, du violon pour Nernst qui revenait du front après avoir expérimenté ses gaz)…
La particularité de mon récit, c’est que j’essaie de présenter le plus possible des individualités qui ont été à la fois bonnes et troubles. Bien sûr, toutes ces personnalités ne sont pas à mettre dans le même sac. C’est une constante dans mon travail, j’essaie le mieux qu’il m’est permis de ne pas imposer mon jugement personnel sur tel ou tel acteur de l’histoire, j’essaie au contraire de donner à penser, tout en me cachant derrière une fausse neutralité.

À l’abri derrière cette fausse neutralité, quels enseignements souhaitez-vous que les lecteurs d’aujourd’hui tirent, au présent et au futur, de cette biographie graphique érudite ?


Si je parle avant tout de fausse neutralité, c’est parce que je pense qu’il n’est pas possible de traiter un sujet historique en faisant fi d’un point de vue. Mon récit, par les seuls événements qu’il tait, par les faits, directs ou annexes à la vie de Haber que j’ai décidé d’occulter, sont déjà des non-informations qui me permettent d’orienter la perception de mon lecteur. Ce que je souhaite pour mon lecteur est en somme assez contradictoire parce que je ne désire rien tant que dissoudre les manichéismes et toutes les simplifications idéologiques qui ont tant abondé dans la bande dessinée dite historique. En même temps, s’intéresser à la complexité du monde est périlleux, pas seulement pour l’abord du complexe en soi, mais aussi et surtout parce qu’une grande partie de la pensée de gauche est construite sur l’appui de clivages forts et antinomiques.
Je reste particulièrement vigilant au fait qu’aborder le monde avec toutes ses contradictions et ses complexités peut d’une certaine manière développer un jeu qui profite à la droite : lorsque l’on ne sait plus figer le marché dans une analyse stable, par exemple, on ne doit plus s’étonner que certains abandonnent l’idée de construire la critique de celui-ci ou préfèrent s’y adonner. La complexité est une notion qui peut être pernicieuse, mais en même temps je reste persuadé que son approche demeure la meilleure arme pour combattre les totalitarismes, l’obscurantisme et la bêtise des foules. Aujourd’hui, dans le contexte actuel qui est le nôtre, l’enjeu premier n’est plus d’éduquer ni de convaincre, c’est selon moi préserver les troupes qui est devenu l’essentiel. Voyez le retour absolument déconcertant des thèses créationnistes aux Etats-Unis et en Europe… voir ces phénomènes se développer aussi vite et facilement me paralyse d’effroi. Mon travail est politique mais à un niveau extrêmement élémentaire, ce que j’essaie de dire avec Fritz Haber, se résume simplement à ceci : « reste attentif, notre acuité reste l’essentiel ».

Une telle qualité d’écriture et d’illustration est inhabituelle dans la bande dessinée. Votre credo (développer l’acuité du regard sur le monde) semble vous conduire à créer un nouveau genre de récit graphique, éclairé, protéiforme et tourné vers l’autonomie du sujet. Des auteurs ont déjà exploré la BD historique, la BD épistémologique, la BD métaphysique. Ne seriez-vous pas le précurseur d’une nouvelle forme de BD « épistémique » (centrée sur la connaissance du monde et la confrontation des croyances des sujets) ?

Vous me présentez là un très beau programme, mais peut-être est-il un peu trop ambitieux pour moi ! Je ne sais pas si mon travail sur Fritz Haber possède les qualités aussi larges et englobantes que celles que vous avez la gentillesse de lui supposer. Ce qui est vrai, par contre, c’est que je suis naturellement poussé, depuis que je produis de la bande dessinée, à inventer des formes nouvelles, qu’elles soient graphiques ou narratives. Mais cette volonté de nouveauté ne repose pas chez moi sur quelque chose de très étudié. Je connais très peu la bande dessinée, finalement, je n’en lis pratiquement plus, et cela fait bien dix ans que je ne suis plus vraiment au fait de ce qui se publie. Je veux dire par là que lorsque je tente de créer des formes nouvelles, c’est avant tout parce qu’elles me sont nouvelles à moi, et je serais bien incapable de dire si mes bandes dessinées sont véritablement originales ou non.
Cette sorte d’inculture qui concerne ma propre discipline reste pour moi précieuse car elle me permet de renoncer à toute envie de « m’inscrire dans l’Histoire », chose que – là c’est peut-être ma belgitude qui parle pour moi – j’ai toujours préféré abandonner aux fats. C’est ce qui me démarque des discours qui tournent autour de la notion d’avant-garde que peuvent tenir des gens comme Jean-Christophe Menu, par exemple. Enfin, je dis cela mais ne croyez pas que je réduise Menu à un gros prétentieux infatué, ce serait me faire un très mauvais procès ! J’ai pour sa personne une affection et un respect marqué qui ne tarit pas, mais il est vrai que sur le point des avant-gardes historiques, j’ai un peu de mal à le suivre ; il persiste cette constance chez moi qui veut que j’ai tendance à tenir tout romantisme pour suspect.

On peut parler alors « d’inculture créatrice », mais c’est paradoxal quand on parle d’une BD culturelle, aussi riche et documentée. Au-delà de la narration, le style graphique se démarque notamment et nettement de la production ambiante. Jean-Christophe Menu a l’habitude de dire que la critique BD parle trop de l’intrigue et pas assez du style. Pourquoi ce style roman-photo historique ? Faut-il parler de roman-peinture ?

Je ne me rappelais plus de cette remarque de Menu, mais probablement touche-t-elle quelque chose qui se rapproche de la réalité comme je la perçois : il me semble également que les gens qui se font l’écho de la production BD, voire même certains commentateurs, s’attardent de plus en plus souvent à ce que « racontent » les livres. Les pitchs, on n’entend plus que ça. Au mieux a-t-on droit à quelques diégèses qui s’ignorent. Et il est vrai que l’on ne parle généralement plus des livres que par leur reformulation en résumés qui s’auto-suffisent…
Cela ne concerne d’ailleurs pas que la BD, selon moi, c’est tout le monde de la fiction qui est touché. C’est un constat personnel que je m’autorise parfois à redire, bien que je n’ose pas trop le diffuser de peur d’être un peu seul à le vivre, mais la façon dont le feuilletonesque s’est imposé partout et la propension toujours plus grandissante qu’ont les gens à savoir « manger » de la fiction quotidiennement me paralyse d’étonnement. Par le feuilleton télé, le film DVD, le roman, la BD, etc., la grande majorité des gens qui vantent les produits culturels, mais aussi la plupart de ceux qui les écoutent ou les lisent, me paraissent être tous des consommateurs inassouvis de fictions… De fait, la question du style se fait souvent rare et je peux vous le confirmer encore ici : on me fait très rarement parler sur ce sujet.
Maintenant, après vous avoir dit tout ça, je devrais normalement vous assurer une belle réponse et vous exposer une édifiante sémiologie de mes images, et gloser allègrement sur ce qui fait le style de ma bande dessinée. Mais une telle entreprise n’est pas simple et je ne sais pas si la tribune dont nous disposons peut suffire à développer toutes les richesses que recèlent de telles théories ! Je ne suis d’ailleurs pas certain d’avoir la culture suffisante pour assurer ce genre de projet ! Ce que je peux vous dire, pour faire court et pour ne pas ennuyer trop les lecteurs de cet entretien qui auront déjà eu la délicatesse de ne pas nous abandonner, c’est que le terme de roman-peinture ne me paraît pas saugrenu du tout. Celui de roman-photo non plus par ailleurs. Parfois, quelques-uns de mes détracteurs me disent avec une pointe d’inimitié jouissive que, finalement, Fritz Haber, ce n’est que du roman-photo. Mais ceci me convient fort bien ! C’est d’ailleurs comme ça que j’ai pensé mon récit, ce fut même mon idée de départ ! Tout m’est apparu clair lorsque j’ai découvert un vieux roman-photo d’époque, tiré du film Jeanne d’Arc de Fleming. C’est en découvrant ce livre étrange, composé des photographies du film et de sous-titres luminescents, que l’idée m’est venue de composer mon récit comme si celui-ci était un roman-photo tiré d’un film mythique de la UFA, le fameux groupe cinématographique allemand actif entre 1917 et 1945 à qui l’on doit énormément de chefs d’œuvre du muet (et plus tard, des films construits par la propagande nazie). C’est pour cette raison que je me suis fortement inspiré des cartons du Nosferatu de Murnau, par exemple. Et c’est la même logique qui m’a fait placer ces cartons en confrontation avec les sous-titres luminescents que l’on peut voir dans notre cinéma.
Lorsque j’entends de nombreux lecteurs de Fritz Haber rapprocher ma bande dessinée de l’esthétique d’un film muet d’époque, je me dis qu’il doit exister dans la construction narrative que j’ai mise en place un mode opératoire que je qualifierais presque de magique parce que, s’il l’on y regarde attentivement, aucune vue, aucun plan, excepté bien sûr les quelques rares passages du Siegfried de Lang qui apparaissent épisodiquement, rien d’autre sinon, ne contient quelque chose de commun avec le film muet. Le flou que rendent mes aquarelles, et la lumière crue et chimique que donne l’apport de l’eau de javel que j’utilise, aident certainement à composer un tout qui joue avec l’illusion du souvenir, mais je dois avouer que je ne m’explique pas moi-même ces effets, si bien qu’ils sont parfois opérants sur ma propre personne… Alors pourquoi avoir choisi cette forme et ce style ?... Pourquoi ces cartons cinéma, cet aspect roman-photo et ces multiples citations littéraires… Tout cela reste un peu inexpliqué, à vrai dire. Peut-être est-ce parce qu’il se dit que la bande dessinée se situe quelque part entre le cinéma et la littérature et que j’ai tenté, instinctivement, alors que je ne suis même pas sûr de croire en cette interprétation, de lui inoculer des éléments extérieurs, comme pourrait le faire un chimiste…

On vous sent décidément très « imbibé » du personnage Fritz Haber, sans doute une chimie fusionnelle entre créateur et créature… L’ampleur du cycle est un autre point qui distingue vos albums des créations courantes. Le dernier album se déroule sur près de 160 pages. Aurez-vous toujours autant de choses à dire ? Vous faudra-t-il plus de 600 pages-peinture pour traiter la biographie du démiurge ?


Malgré ce nom de Fritz Haber qui m’accompagne de façon presque quotidienne depuis près de dix ans, je ne pense pas être trop hanté par mon sujet. Mais imbibé, oui, très certainement ; il me semble que je peux affirmer sans paraître trop prétentieux que je commence à connaître mon bonhomme ! Ce qui tend à me fasciner avec ce sujet, c’est que plus le temps passe, plus mon enthousiasme s’accroît. C’est un phénomène vraiment surprenant pour moi parce que l’une de mes plus grandes craintes, lorsque j’ai commencé les premières pages de Fritz Haber en 2001, était que ce projet soit trop grand et surtout trop long pour me tenir éveillé, d’autant plus que jusqu’alors je ne m’étais jamais consacré à un livre plus de neuf mois. Ceci dit, je ne suis pas certain d’être le seul auteur de bande dessinée à travailler aussi longuement un sujet.
L’enthousiasme de Tibet & Duchâteau, les auteurs de la série Ric Hochet, est pour moi quelque chose de beaucoup plus impressionnant. Bien sûr, les enjeux sont différents, et nos livres n’ont rien à voir, mais tout de même, il y a une force commune qui nous est indispensable, c’est celle de ne pas être écœuré par notre sujet, et sur ce point, je peux difficilement accepter le fait que mon travail me distingue des autres. Pour ce qui est de la suite de Fritz Haber, je ne peux pas garantir trop de choses : j’ai bien un plan et une structure pour mes trois prochains tomes, mais tout cela reste de l’ordre de l’estimation, ce que je crois c’est que cela devrait se chiffrer autour des 800 pages. Ce chiffre peut paraître extravagant mais selon moi les événements et les choses encore à dire possèdent une portée bien plus intéressante que tout ce qui a déjà été traité jusqu’ici. Le plus difficile reste à faire, de même que le meilleur reste à venir. Car si l’on regarde ce qui a déjà été publié jusqu’ici, Haber n’a pas encore fait grand chose… Et ce n’est pas encore parler des Weizmann, Einstein ou Rathenau !
C’est bien simple, le troisième volume concentrera ses 150 pages à la seule année 1915… Ce prochain tome sera pour le coup véritablement central. Les tomes 4 et 5 devraient quant à eux couvrir les années 1916-1934. Mais encore une fois, tout cela est très aléatoire et je m’autorise toutes les modifications !

Impressionnant. Travaillez-vous sur d’autres projets parallèlement ?


Oui ! Et pas qu’un seul d’ailleurs ! Je vais profiter de votre question, si vous me le permettez, pour approfondir mon point de vue sur le métier d’auteur de bande dessinée. Il existe deux raisons pour lesquelles je développe d’autres projets : d’une part, très simplement, je m’autorise quelques distractions car j’ai un peu peur qu’à la longue, une immersion trop longue dans Fritz Haber ne devienne mauvaise pour moi (et puis je suis un esprit trop curieux de nature pour me contenter d’un seul sujet, aussi vaste soit-il) ; secondement – et c’est ici que je vais manquer de finesse et de poésie mais c’est l’exacte réalité – ce sont des raisons bassement économiques qui m’imposent de produire et de décliner d’autres projets : si je veux mener Fritz Haber à terme et dans des délais raisonnables (c’est à dire une grosse dizaine d’années), je suis un peu obligé de publier d’autres choses. C’est ça ou travailler dans un fast-food, pour être un peu plat ; l’on comprendra que je préfère rester chez moi et écrire…
Ceci ne veut absolument pas dire que lorsqu’il m’arrive de travailler un scénario pour un dessinateur de bande dessinée, je juge les choses que je lui destine comme du travail alimentaire. Enfin si, c’est un travail alimentaire, mais il l’est au même titre que Fritz Haber, si vous voulez. Et c’est ici que j’aimerais vous brosser rapidement l’une de mes conceptions fondamentales : je n’arrive pas à envisager mon activité autrement que comme un métier, cela parce que je n’arrive pas à me convaincre que je puisse être d’une quelconque façon commandé par ce que certains appellent la vocation. Ce sont les mécanismes et les exigences de la société qui m’obligent à publier des livres, et ce travail reste pour moi strictement utilitaire dans le sens où, je n’aurais pas de problèmes financiers, je ne produirais pas, en tout cas pas tant. Ce point de vue, dont presque tout le monde me rappelle qu’il est inattendu et particulier, n’avalise cependant pas l’idée qui voudrait que je produise des choses « par-dessus la jambe ». Cela n’exclut pas le fait que, pour toutes mes publications, je m’applique et j’essaie de donner le meilleur de moi-même, je ne suis pas motivé par le cynisme, je n’en profite d’ailleurs pas pour imaginer des projets putassiers ou potentiellement lucratifs… Mon point de vue dépasse même en un certain sens la question « artiste versus artisan », question qui du reste ne m’intéresse pas. Enfin ! Je vais m’arrêter là car je ne suis pas sûr que mes tentatives d’explications ne m’enfoncent plus encore !
Maintenant, pour répondre plus exactement à votre question, mes projets actuels sont, d’une part mon travail d’écriture, que l’on peut lire dans le journal Le Tigre, par exemple, avec qui je travaille fidèlement depuis sa création, il y a déjà deux ans et demi, ou encore ce que j’ai appelé ma « correspondance inédite », qui paraît régulièrement dans la revue Jade des éditions Six pieds sous terre, et qui aborde mes relations avec le milieu de la bande dessinée.
Et puis enfin il y a mes activités de scénariste que je propose à plusieurs dessinateurs (des amis, exclusivement). Le travail le plus important dans ce domaine reste celui que je réalise avec Ambre, avec qui j’avais déjà commis un Faust. Ici, nous continuons une exploration de l’Allemagne profonde : nous nous sommes donné le pari de raconter la vie de Luther au travers de la révolte paysanne et anabaptiste. Il s’agit d’un énorme travail historique, qui de par ses méthodes de création se rapproche de mon Fritz Haber. Il y aura trois tomes, le premier verra le jour en 2009 ou 2010, chez Six pieds sous terre. Dans un tout autre style, bien plus « grand public », je continue ma très heureuse collaboration avec Daniel Casanave. Nous avons mis en place une petite « série » publiée dans la collection Poisson Pilote de Dargaud et qui pourrait se résumer à un pastiche du Maigret de Simenon. Nous y prenons énormément de plaisir, d’autant plus que les enjeux sont moins importants que ce que Daniel et moi avons chacun pu faire auparavant, un second tome sortira vers janvier 2009. C’est un peu le même état d’esprit qui entoure ma collaboration avec Guillaume Guerse, pour Six pieds également. J’ai adapté pour lui une nouvelle de Michel Verne – nouvelle attribuée depuis à son père Jules – et qui s’appelle Journée d’un journaliste américain en 2889. C’est un texte écrit en 1889, absolument prophétique, et ceux qui me connaissent bien auront déjà relevé que j’ai un faible tout particulier pour tous les textes prophétiques. Guillaume dessine tout cela de façon très sentie et je pense vraiment que cela fera un beau petit livre, c’est prévu pour la fin 2008.
Sinon, j’ai toujours l’envie de mener à bien le grand projet que j’avais mis en place avec mon ami le philosophe des Sciences Jean-Jacques Salomon, décédé en janvier dernier. Jean-Jacques Salomon était venu me voir pour me proposer une histoire de la bombe atomique en bande dessinée, lui qui avait personnellement connu Oppenheimer et rencontré pratiquement chacun des grands acteurs du projet Manhattan. Sa disparition a tout naturellement arrêté le projet, mais depuis peu, l’éventualité que l’un de ses amis et collègue reprenne le flambeau se fait réelle. La chance de pouvoir travailler avec des personnages de ce calibre, moi qui ai décroché mon plus haut diplôme officiel à l’âge de douze ans, se traduit pour moi presque comme un cadeau des Dieux. Parfois me vient même l’idée de me dire que je fais des livres dans l’espoir unique d’être apprécié de ces grands esprits (ce qui apportera un peu de grain à moudre à ceux qui ne veulent pas croire que l’on puisse écrire des livres à faibles vertus commerciales pour de simples raisons matérielles) !

Eclairer les lecteurs, séduire les grands esprits, c’était un peu aussi l’ambition de vos personnages (Fritz Haber, Luther) ou de vos inspirateurs (Jules Verne, Jean-Jacques Salomon). Est-ce par excès de modestie que vous vous appuyez sur eux pour faire passer votre vision du monde ?

Comme toutes les questions que l’on me pose et qui touchent à l’amour-propre, je suis à chaque fois envahi par différents sentiments mêlés qui m’empêchent de produire directement une réponse claire et définitive. Malgré des prédispositions profondément enfouies en moi, si je reste convaincu que ce sont des réalités environnantes qui m’ont conduit à devenir auteur, le simple fait d’oser écrire, de se revendiquer une identité, de vouloir laisser une trace, ce refus de mourir, tout cela m’apparaît tel jour comme un manque indécent d’humilité, tel autre comme quelque chose de naturel et de commun à tous. Même s’il s’agit d’une notion que j’accepte et dont je suis prêt à reconnaître qu’elle s’est déjà manifestée à travers certains acteurs de l’histoire universelle, je ne crois pas beaucoup à l’idée de génie. Je serais même sur ce point tenté de me rallier à la subtile ironie de Robert Musil, lorsqu’il relatait comment l’esprit de son temps s’extasiait à qualifier un cheval de course « génial ». Musil est mon garde-fou.
Et pour en revenir à la teneur ironique du titre Les Héros que nous évoquions ensemble plus haut, on peut dire que j’ai trouvé en lui un ami ; lui aussi se méfiait de l’héroïsme et ne cessait de le tenir pour suspect. Dans un état d’esprit assez identique, il se refusait de penser que l’artiste puisse devenir d’une quelconque façon un être d’exception. L’artiste, le poète, « n’est homme d’exception que pour autant qu’il est l’homme qui prête attention aux exceptions » disait-il. Sans vouloir rouvrir le vaste débat que pose la question de l’inné et de l’acquis, je dirais, pour faire court, que je rejoins ceux – nombreux, il me semble – qui pensent que sur les questions de la morale comme de la politique, si tout n’a pas toujours été convenablement entendu, le principal a du moins déjà été dit ; et l’on en revient au « Toujours la même histoire » de Musil. Toujours la même histoire, « Cela signifie qu’aujourd’hui l’ici et là personnel de ce qui arrive est sans doute déterminé, mais ce qu’il comporte d’universel ou sa signification est indéterminé, effacé, équivoque et se répète à perte de vue ». C’est pour cela que, dans la continuité logique de cette idée, mon travail publié n’a rien d’original. Et lorsque vous citez Verne ou Salomon comme mes inspirateurs, même s’ils sont tous deux de très beaux esprits, un affreux et paradoxal sentiment de n’être réduit qu’à peu de chose s’empare de moi : car je suis loin de ne m’inspirer que d’eux, je puise et je pompe chez tout le monde ! N’importe quelle idée me passant sous les yeux est susceptible d’être volée, triturée, détournée et recomposée par mes soins ! Mon travail tout entier n’est pas autre chose qu’un « éhonté détournement », une « apologie du plagiat », selon la formule fameuse de Jean-Luc Hennig, un « magistral détournement », dans la grande lignée des Debord, qui fut peut être l’un de ceux qui assumèrent le mieux le genre.
Si certains de mes contemporains s’accordent à dire que j’ai du talent, ce sera uniquement acceptable dans le sens où, comme l’a expliqué très justement Marianne Massin dans La Pensée vive, le récent ouvrage qu’elle a consacré à l’inspiration, j’ai été capable de m’inspirer de, rien de plus (M. Massin ne parle pas de moi, je paraphrase). Je pense donc, pour en revenir à votre question, ne pas être sujet à un excès de modestie, mais, au contraire, je dois convenir que je suis absolument immodeste ! Je m’autorise à parler en volant tout le monde, du Veda à Sloterdijk, rien ne me fait froid aux yeux, aucun texte ne m’intimide assez pour que je n’ose le charcuter ! Pour conclure, j’aimerais rappeler un aphorisme de Kierkegaard qui a été détourné par l’une des personnes qui ont pour moi compté, il s’agit de mon professeur de dessin et de gravure Roger Dewint. Sur l’une de ses œuvres, on peut lire : « Il arriva que le feu prit dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. On pensa qu’il faisait de l’esprit et on applaudit ; il insista ; on rit de plus belle. C’est ainsi, je pense, que périra le monde : dans la joie générale des gens spirituels qui croiront à une farce. »

Marc Alotton
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ACTUA BD

(octobre 2005)
http://www.actuabd.com/spip.php?article2963

Il nous semble, vu le contexte de l’époque, qu’au cœur de la biographie d’Haber, il y a la volonté - maladive dans son cas - d’une assimilation à tout prix. C’est un sujet central dans la communauté juive de ce temps.

Vous pouvez juger la volonté d’assimilation de Haber maladive, mais il était loin d’être un cas isolé. On pourrait même dire à son sujet, qu’il était un cas assez représentatif. Il n’y avait donc rien de véritablement anormal ou d’excessif chez lui. Un nombre assez conséquent de juifs passait le cap de la conversion sans que cela ne soit pour autant mal vu ; l’assimilation était alors considérée dans une large part de la communauté de l’Europe de l’Ouest comme une sorte d’aboutissement, et non pas forcément comme une rupture. N’oublions pas qu’à cette époque, on assimilait autant la société moderne qu’on s’assimilait à elle. Il ne faut pas perdre de vue les énormes bouleversements que le capitalisme et la foi aveugle dans le progrès produisaient sur les populations, que celles-ci soient juives ou non-juives.
Ce qui est notable chez Haber, c’est qu’il n’a jamais vraiment assumé sa conversion. Il s’est converti en cachette, et les historiens sont d’accord pour dire qu’il ne l’a jamais avoué à ses amis les plus proches, que ce soit à Einstein ou à Willstätter [1]. Haber était un nationaliste allemand exalté qui toute sa vie fut entouré d’amitiés juives, son époque exigeait de lui qu’il choisisse son camp, mais il n’a jamais réussi, et c’est ce qui le mina toute sa vie, il en mourra d’ailleurs.

Mais Haber, encore une fois, n’était pas un cas particulier. Walter Rathenau [2] présentait les mêmes contradictions. Rathenau assumait sa judaïté tout en s’amusant à côtoyer la pire intelligentsia antisémite. Il eut des relations étroites et soutenues avec Wilhelm Schwaner, par exemple, l’un des plus terrifiants théoriciens nazis.

On pouvait être juif et antisémite au temps de Haber, comme Karl Marx [3] ou Karl Kraus. C’est une chose qui aujourd’hui nous apparaît comme aberrante parce que notre époque, que nous ne percevons plus que par le prisme des médias, ne nous fournit plus les occasions de penser la complexité.
Mais pour en revenir à la question, il est néanmoins certain que la problématique de l’assimilation des années 1870-1930, telle que je la peins dans ma biographie de Haber, est devenue aujourd’hui totalement obsolète. Les démocraties auront au moins réussi ceci, c’est que l’antisémitisme politique n’a plus court. Tout le monde sait que la démocratie n’est pas la recette parfaite, elle n’a pas par exemple la faculté d’étouffer l’humeur antisémite. Mais même si celle-ci reste fortement présente par endroit, elle ne saurait mener à de nouvelles barbaries. En Belgique ou en France, l’assimilation n’est donc plus une question à l’ordre du jour, les Juifs n’ont plus besoin, comme à l’époque de Haber, de « bouée de sauvetage », ni de « ticket d’entrée ». Malgré cela, je ne fais pas une biographie de Heine, ni de Spinoza, où le temps qui nous sépare de ces deux grandes figures juives pourrait m’autoriser à prendre quelques libertés, sans que l’on m’en fasse le moindre reproche. L’histoire de Haber, elle, n’est pas si loin, certaines personnes qui l’ont côtoyé vivent encore. De même, les problèmes que j’évoque dans mon livre, s’ils ne sont plus vraiment d’actualité, n’en sont pas pour autant surannés. J’ose même croire que mon livre évoque des problématiques encore très actuelles.

Haber meurt juste avant que le nazisme n’entreprenne le meurtre de six millions de Juifs, à l’instant où les thèses de Theodor Herzl et de Chaïm Weizman finissent par triompher...

« Triompher » est peut-être un bien grand mot. Il est vrai que l’idéologie sioniste commençait à se répandre considérablement dans les années trente et que de plus en plus de Juifs y étaient sensibles, mais concrètement, l’immigration des Juifs d’Europe en terre d’Israël restait dérisoire. Les Alyahs successives n’avaient attiré que 200.000 Juifs, chaque fois par petites vagues. Tout n’a pas été crescendo comme on aimerait le penser : en 1930, les autorités britanniques mirent un frein à l’immigration et aux acquisitions de terres. Les Juifs d’Europe, quand ils fuyaient les pogromes ou les exactions nazies, choisissaient avant tout les États-Unis.
Dans le cas de Haber (qui est mort en janvier 1934), le sionisme et le nazisme se sont brutalement entrechoqués dans son esprit quand il décida de fuir l’Allemagne de 1933. Ce n’est que contraint à l’exil que Haber s’autorisa à dîner plusieurs fois chez les Weizmann. Weizmann qui n’a eu de cesse de proposer à Haber la direction de l’Université Hébraïque de Rehovot... Fritz Haber n’a rien connu des horreurs de la guerre, bien qu’il fut, en tant que directeur du Kaiser Wilhelm Institut de Berlin, en première ligne pour pressentir toute la folie scientifico-idéologique qui se mettait alors en place. Les médecins eugénistes et les théoriciens de l’hygiène raciale dispensaient à quelques pavillons de chez lui. Et pourtant, comme la très grande majorité de ses collègues, Haber n’a rien vu venir.

Où nous mène ce polyptique (cinq volumes sont prévus), une fois ce premier volet achevé ?

Le second volume sera conséquent puisqu’il fera 260 pages, il couvrira la période de la [première] guerre. Ce seront les années « glorieuses » de Haber. On y découvrira un Haber bien plus glaçant : après toutes ces années de frustration, à l’âge de 40 ans, le voilà qui accède à l’argent, au pouvoir et à la reconnaissance, et ce tandis que l’Europe s’embrase. En 1914, Haber ne sera plus un scientifique, il sera avant tout un militaire qui servira l’Allemagne grâce ses connaissances scientifiques. C’est aussi, étonnamment, à cette même époque qu’il se liera d’amitié avec Einstein. Bien sûr, en parallèle, les destinées de Rathenau et de Weizmann continueront à traverser la vie et la destinée de Haber. Le troisième volet s’intéressera à la chute progressive de Haber.

Votre personnage dit : "Je suis victime de l’esprit des temps" (c’est le titre du cycle). Il y a là comme un déterminisme, l’idée que l’individu ne peut pas agir sur le cours du temps...

Oui, je prête ces mots à Haber. Haber considérait que son propre désir de puissance était refréné par l’antisémitisme. Il s’est très longtemps senti diminué, enchaîné, comme si une loi funeste et immuable le tenait en respect, l’obligeant à laisser un genou à terre, sans que jamais il ne puisse faire face au destin de manière héroïque. Quand on y regarde bien, ce ne fut évidemment pas le cas, Haber a agi très fortement sur son temps, et l’Histoire Universelle lui doit énormément. Son invention majeure, la production de l’ammoniaque à grande échelle, a sauvé des milliers de vies de la famine (l’ammoniaque est un riche fertilisant), mais cette même invention a également permis à l’Allemagne de se lancer dans la guerre, en 1914 (car de l’ammoniaque on tirait le dérivé chimique qui servait à la production des obus).
Ce qui est certain, c’est que Haber, et beaucoup de juifs de sa condition, avaient le sentiment légitime d’être des parias. En Allemagne, les postes à responsabilité ou les directoires leurs étaient très souvent refusés. La formule « Abandonnez toute espérance », qui nous est restée célèbre parce que Max Weber l’a surligné dans l’une de ces célèbres conférences, était véritablement proverbiale : si l’on était juif, mieux valait ne pas être carriériste. Haber a cru que sa conversion allait tout arranger, ce ne fut bien évidemment pas le cas, il dû produire des efforts ahurissants pour s’extirper de cet esprit dans lequel il était englué.
Beaucoup de jeunes gens pensent encore que l’antisémitisme est né en Allemagne au début des années trente, c’est bien évidemment faux, le problème a toujours existé. Chaque siècle a eu son lot de lois, tacites ou non, qui agissait contre les Juifs. Au début du XXe siècle, en Allemagne, pour être accepté et considéré, il était demandé aux Juifs d’exceller plus que ne saurait me faire le meilleur des Allemands. Il est certain qu’une telle discrimination aura produit des effets contraires aux désirs des antisémites. Sur les nombreux Prix Nobel que l’Allemagne récolta, près de 30% étaient juifs ; l’excellence juive à cette époque fut époustouflante. Je pense que l’esprit du temps qui régnait en Allemagne à cette époque, ce foutu Zeitgeist, n’est pas étranger à tout cela. Ce sont des lois anti-juives et une suites interminable de vexations à l’encontre de la communauté qui ont amené les Juifs à briller plus haut encore. La raison suffisante de l’élite juive n’est bien évidemment pas l’antisémitisme, mais il est clair que pour certains, comme Haber, l’antisémitisme fut un facteur essentiel de sa destinée.


Propos recueillis par Didier Pasamonik, octobre 2005.


[1] Richard Willstätter (1872-1942), Prix Nobel de Chimie en 1915 pour ses travaux sur l’étude de la chlorophylle. NDLR
[2] Walter Rathenau (1867-1922), fils d’Emil Rathenau, le grand magnat allemand de l’électricité, était un industriel et un homme d’état qui a joué d’abord un rôle logistique actif pendant la Première Guerre mondiale. Il fut ministre de la reconstruction puis, après 1922, ministre des affaires étrangères de la République de Weimar. Vilipendé par les nationalistes pour avoir signé les accords de réparation de guerre avec les Alliés, il a été assassiné le 24 juin 1922 par des partisans d’extrême-droite. NDLR
[3] Karl Marx a été converti au catholicisme par son père alors qu’il était âgé de six ans. Il lui est arrivé plus d’une fois de tenir des propos judéophobes. NDLR

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